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Interpénétration des entreprises et des capitaux
Il est bien sûr intéressant d'examiner quelles formes de coopération économiques et culturelles ont réellement été développées dans la région du Rhin Supérieur dans le cadre des nouveaux réseaux. Quelques aspects permettent de mesurer les différences qui existent des deux côtés du Rhin. L'interpénétration des entreprises allemandes en Alsace et celle des entreprises françaises dans la région allemande du Rhin Supérieur se distinguent très nettement, aussi bien de par la structure et le nombre des entreprises que dans leurs implications et répercussions. L'impact synergique généré par la mobilité des facteurs de production que sont le travail et le capital sous forme de travail transfrontalier et d'investissements directs n'est pas toujours exactement mesurable - et certainement pas uniquement positif!
Entre 1955 et 1980, 210 entreprises allemandes se sont implantées en Alsace, dont 135 entreprises de production industrielle et 75 entreprises du secteur tertiaire (commerce et services). Près de la moitié des entreprises venait du Land voisin de Bade-Wurtemberg (48,6 %), suivi du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (15,7 %) et de la Bavière (13,3 %) (Börkircher/Tiedtke, 1981, p. 2).
Les premières fondations d'entreprises allemandes en Alsace ont eu lieu dès les années 1950. Il est frappant de constater que ces entreprises ont investi à l'époque dans des branches qui étaient en recul en Alsace (par ex. le textile et la confection, le bois et les meubles, l'exploitation minière). Les facteurs décisifs ont été manifestement la disponibilité de la main-d'oeuvre ainsis que les charges salariales et sociales moins élevées. Ceci explique à l'inverse le volume des investissements assez réduit des entreprises alsaciennes en Pays de Bade ou en Suisse jusqu'en 1975.
Emplois issus d'investissements étrangers en Alsace
et dans le Pays de Bade (1955-1974)
Origine | Pays de Bade | Alsace |
France | 6.405 | pas de relevé |
RFA | pas de relevé | 14.098 |
USA | 10.040 | 5.016 |
Suisse | 18.235 | 3.234 |
Total des salariés de l'industrie | 255.175 | 256.870 |
Source: d'après Marandon, 1977
La situation centrale de l'Alsace et les nombreuses voies de communication vers l'Allemagne, la Suisse, l'Italie du Nord et la France ainsi que la proximité des marchés et clients dans une région de forte densité démographique ont joué dès cette époque un rôle important pour l'implantation de sites industriels. De plus, la région offrait des terrains industriels à des conditions souvent beaucoup plus intéressantes qu'en Allemagne. Les charges salariales ont joué apparemment un moindre rôle, du moins durant cette phase. Enfin, la question des avantages liés aux cours des monnaies ou de la législation en matière d'environnement ou d'aménagement est restée sans effet (Börkircher/Tiedtke, 1981, p. 4/5).
Motifs pour lesquels des entreprises de production étrangères ont investi en Alsace (1955-1980)
Critère | très important | important | sans importance |
Proximité du marché | 71 | 22 | 7 |
Proximité des clients | 57 | 26 | 17 |
Site approprié | 56 | 23 | 21 |
Main d'œuvre bon marché | 37 | 51 | 12 |
Avantage au niveau de la concurrence | 33 | 47 | 20 |
Faibles coûts du personnel | 22 | 53 | 25 |
Prix des terrains | 37 | 39 | 34 |
Coûts des transports / de la distribution | 26 | 32 | 42 |
Avantages liés au cours du change | 4 | 33 | 63 |
Questions concernant la protection de l'environnement | 3 | 20 | 77 |
Source: d'après BÖRKIRCHER/ TIEDTKE , 1981, p. 4, modifié
En comparaison les entreprises alsaciennes n'ont guère opéré d'investissements du côté allemand. Jusqu'en 1974 seuls sept entreprises françaises employant au total 6.405 salariés étaient implantées dans le Pays de Bade (Marandon, 1977, p. 187). A la fin des années 1970, environ 800 entreprises françaises avaient leur siège en Allemagne (Börkircher/Tiedtke, 1981, p. 1). Dans le Pays de Bade, les firmes industrielles françaises ont surtout choisi pour site la région de Karlsruhe, de Baden-Baden, de Fribourg et de Lörrach; c'est à Karlsruhe (Michelin y possède une filiale depuis 1906) et à Lörrach que l'on trouve les implantations les plus anciennes.
Une mise en oeuvre plus efficiente des investissements s'est opérée depuis le début des années 1980 par le renforcement de la coopération au niveau politique et institutionnel. Une importance particulière revient aux Congrès des trois pays tenus régulièrement depuis 1988 qui ont stimulé la coopération sociale, politique et économique. Les programmes de promotion INTERREG [1] déjà mentionnés plus haut ont eu eux aussi des effets positifs. Enfin, les années 1990 ont connu au niveau national une recrudescence des "mariages d'éléphants", c'est-à-dire de la fusion de grandes entreprises, qui caractérisent la globalisation des structures économiques internationales au seuil du troisième millénaire. Les entreprises fusionnées ont généralement deux sièges principaux, de sorte que les déséquilibres de coopération se limitent souvent uniquement à l'interpénétration directe des capitaux (participations croisées).
"Mariages d'éléphants" entre entreprises allemandes et françaises dans les années 1990
Secteur | Entreprises allemandes | Entreprises françaises | Nom | Type | Chiffre d'affaires en milliards d'euros |
Nucléaire | Siemens | Framatome | fusion | 3,1 | |
Pharmacie | Hoechst | Rhône-Poulenc | Aventis | fusion | 18,4 |
Aéronautique | DASA | Aerospatiale Matra | fusion | 19,8 | |
Energie | EnBW | EDF | EADS | participation | 4,0 |
Chemins de fer | Deutsche Bahn | SNCF | coopération | - | |
Télé- communication | Mannesmann | Vivendi (Vodafone) | Vodafone | prise de contrôle | - |
Multimédia | Deutsche Telekom | Lagardère | Club Internet | prise de contrôle | - |
Bourse | Deutsche Börse | coopération | - |
Source Internet
La coopération économique s'est intensifiée ces dernières années dans la région du Rhin Supérieur. Mais le nombre de sites d'entreprises badoises en Alsace reste supérieur à celui des entreprises alsaciennes au Bade-Wurtemberg. Au début des années 1990, 70 % des investissements étrangers en Alsace provenaient d'entreprises allemandes et suisses (Chassignet, 1996, p. 209), tandis que les investissements d'autres régions de France en Alsace étaient relativement insignifiants pour la même période. On constate en Alsace la nette prédominance d'entreprises industrielles allemandes (entreprises de production) par rapport aux entreprises du secteur tertiaire. L'interpénétration économique entre l'Alsace et l'Allemagne atteint un important niveau: à l'heure actuelle, 61,5 % des importations alsaciennes viennent d'Allemagne et 53,2 % des exportations alsaciennes sont destinées à l'Allemagne (en pourcentage des échanges commerciaux avec les pays de l'Union Européenne) (Kleinschmager, 1999, p. 117).
A côté de l'établissement de sites de grandes entreprises allemandes et suisses, l'Alsace a connu au cours des dernières années une nette augmentation des implantations de multinationales des USA et de Grande-Bretagne, suivies des premières créations d'entreprises japonaises.
Origine des grandes entreprises étrangères en Alsace en 1996
Pays d'origine | Entreprises | Employés | |
---|---|---|---|
Suisse | 45 | 6.592 | |
Allemagne | 28 | 5.892 | |
USA | 16 | 5.412 | |
Grande-Bretagne | 10 | 2.513 | |
Japon | 4 | 2.264 | |
Italie | 2 | 473 | |
Scandinavie | 1 | 125 | |
Pays-Bas | 1 | 51 | |
Total | 107 | 23.322 |
|
Source: Mohr, B. (2000): Das Elsass - grenzüberschreitende Zusammenarbeit am Oberrhein. In: Geographie heute, 21. p. 38.
Des changements sont également intervenus au niveau des différentes branches. Tandis que les entreprises des branches "traditionnelles" de l'industrie (textile, confection, bois, etc.) ont prédominé dans la région du Rhin Supérieur pendant la phase initiale de coopération, les technologies innovatrices ont fait une percée depuis quelques années, comme l'illustre le projet Bio-Valley [2] initié par le groupe Novadis (chimie) issu de la fusion de Ciba et Sandoz en 1996 qui représente dans le cadre du programme d'innovation INTERREG à la fois une diversification de la structure économique et une promotion de l'innovation. Dans ce contexte, la région du Rhin Supérieur attend beaucoup du futur et espère devenir une région européenne de biotechnologie de premier plan [3] . A l'heure actuelle, l'effectivité de ce projet d'avenir est cependant remise en cause en raison des écueils politiques et administratifs persistants (Rausch, 2000, p. 183 et suivantes).
A l'encontre de la tendance à la hausse des entreprises étrangères à investir en Alsace, les entreprises alsaciennes sont assez peu enclines à délocaliser ou à filialiser leurs sites chez leurs voisins. Au début de l'année 2001, seules 113 entreprises parmi les 6.435 entreprises alsaciennes détenaient une ou plusieurs filiales à l'étranger (au total 260). Parmi celles-ci, la branche du commerce en gros et au détail arrive en tête (173), suivie de l'industrie et du bâtiment (50) et de diverses autres branches (37). On constate une large répartition géographique des sites qui sont implantés, si on les prend dans leur ensemble, à 43,5 % dans la zone de l'euro, sans que l'on puisse déceler une préférence pour la région voisine du Pays de Bade. L'implantation géographique était répartie comme suit (d'après la Banque de France, 2001):
Pays d'Europe de l'Est | 29 |
Allemagne | 52 |
Autres pays d'Europe | 118 |
USA-Canada | 22 |
Asie | 21 |
Afrique | 16 |
Amérique Latine | 2 |
Bien sûr, les fusions d'entreprises ou autres formes de coopération se heurtent quelquefois à des problèmes. Même si l'on a pu observer au cours des dernières décennies une forte disposition des entreprises allemandes à investir en Alsace (et en France d'une façon générale), une certaine réserve est encore à l'ordre du jour. D'après un article du quotidien Le Figaro du 2 avril 2001, ceci est dû aux différences de vues sur le fonctionnement et l'organisation d'une entreprise et parfois à une certaine "méfiance" vis-à-vis de l'autre: "Les Allemands jugent les Français 'pas sérieux' ou 'chaotiques'".
On constate surtout ces dernières années avec une certaine inquiétude que l'Alsace pourrait bien dans le contexte de la mondialisation perdre une partie de son caractère attrayant. Même si la population dans son ensemble considère d'un oeil critique une trop forte emprise de l'étranger sur l'économie alsacienne, les acteurs de l'économie et de la politique éprouvent une certaine appréhension face à tout recul des investissements étrangers.