- Le Rhin comme enjeu historiographique dans l'entre-deux-guerres - vers une histoire des mentalités frontalières
- Intérêt pédagogique
- Problématique
- Enrayer l'antagonisme
- Le poids des stéréotypes
- Guerre et pacifisme dans le Canard enchaîné des années 1930
- Guerre et propagande dans le Simplicissimus après 1933
- L'image de l'Autre dans la propagande satirique des années 1930
- Bibliographie
- Terres convoitées: L'Alsace et la Lorraine entre la France et l'Allemagne
- L'Alsacien Jean-Jacques Waltz alias Hansi: ses textes et dessins anti-allemands et leur utilisation en cours d'histoire
- Lieux de mémoire : le culte politique des morts en France et en Allemagne
- Guerre et réconciliation
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Poursuivre les hostilités par d'autres moyens
Dans l'immédiat Après-guerre, la logique de l'affrontement demeure présente en France comme en Allemagne, dans les manuels scolaires comme dans les sources satiriques. Bien sûr, les modes d'expression des deux types de sources ne sont pas les mêmes. Concernant la guerre tout juste terminée, les auteurs des manuels d'histoire accusent mutuellement l'autre pays d'être responsable du déclenchement du conflit, et approuvent l'attitude des représentants de leur propre pays (Le point de vue allemand: document 1 [1] , Le point de vue français: document 2 [2] ).
Cette absence de recul par rapport au point de vue national s'explique, entre autres, par le fait que les événements relatés sont récents. Par conséquent, les auteurs des manuels français et allemands ne se posent pas en historiens, mais en contemporains des événements. D'ailleurs, l'historisation (l'étude d'un sujet avec le recul critique propre à l'historien) de la question des responsabilités dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale a été longue et s'est poursuivie après 1945. La controverse Fischer sur les buts de guerre allemands, qui a remué les débats d'historiens dans l'Allemagne des années 1960, en constitue une étape importante.
Mais la proximité temporelle n'explique pas tout. En France, les horreurs de la guerre des tranchées provoquent un puissant sentiment de pacifisme (cf. 3.2. ci-dessous). Or, en Allemagne, l'analyse des sources de l'Après-guerre révèle que leurs auteurs, et avec eux la population allemande, sont moins marqués par l'expérience des combats que par le règlement de la paix, décriée sous le nom de " diktat de Versailles ". Celui-ci impose à l'Allemagne des cessions de territoire provisoires ou définitives, des réparations, ainsi que la lourde charge morale de l'entière responsabilité du déclenchement.
Le traité de Versailles humilie le sentiment identitaire allemand et provoque un traumatisme profond et durable dans la population comme chez les dirigeants. Par conséquent, une bonne partie de l'opinion allemande condamne cette paix plus que la guerre. Certes, il existe en Allemagne des écrits stigmatisant la guerre comme A l'Ouest rien de nouveau d'Erich Maria Remarque, publié en 1927. Cependant, les manuels scolaires et la presse, notamment dans l'immédiat Après-guerre, continuent à accuser les anciens ennemis de la guerre, dont la France. A considérer la teneur de la presse satirique, ses auteurs semblent enclins à reprendre la lutte pour revenir sur les conséquences de la paix. Au sujet de la France en particulier, les caricatures du Simplicissimus attestent d'une violence qui poursuit la guerre par les moyens du langage verbal et iconographique, autrement dit celui des images (document 3 [3] ).
La véritable phobie des Noirs dont témoignent les dessins rappelle un certain nombre de considérations relevant de la " raciologie " Rassenkunde, qui parsèment les manuels de géographie allemands dès les années 1920. Les cartes qui visualisent et illustrent les enseignements du texte des manuels d'histoire français et allemands reproduisent à leur manière les énoncés accusateurs ou plutôt pacifiques concernant le pays voisin.
A propos des expansions territoriales de la France du temps de Louis XIV, les manuels allemands de la République de Weimar et du nazisme choisissent systématiquement de représenter les territoires français en noir, et emploient souvent le terme de " rapt " dans l'intitulé. Or, depuis 1945, toute couleur foncée est apparemment bannie, tout comme le lexique ouvertement accusateur (document 4 [4] ).
De la même manière, pour évoquer le système d'alliances à la veille de la Première Guerre mondiale, les manuels allemands emploient fréquemment le terme " encerclement " au sujet de l'Allemagne. Les manuels nazis exacerbent la diabolisation de l'ennemi : leurs cartes représentent toujours l'Allemagne en blanc et ses futurs ennemis de guerre en noir. On rencontre souvent des flèches suggestives, propres à susciter une impression de menaces qui s'accumulent autour de l'Allemagne démunie (document 5 [5] ).
Du côté français, à propos des guerres de Frédéric II de Prusse qui peuvent être considérées comme menaçantes pour la France, les auteurs des manuels d'histoire de l'Entre-deux-guerres s'abstiennent de noircir leurs cartes, et évitent de souligner l'hostilité ou d'attribuer visuellement la part du méchant dans le passé - est-ce pour contribuer ainsi à désamorcer l'antagonisme et le risque d'une nouvelle guerre dans le présent ? (document 6 [6] )
Liens:
- [1]Document 1 (traduction) : extrait d'un manuel allemand de 1919
- [2]Document 2 : extraits de deux manuels français de 1922
- [3]Document 3 (traduction): Caricatures extraites du Simplicissimus des années 1920 à 1924
- [4]Document 4 (traduction): Cartes extraites de manuels allemands (1928, 1941, 1963/4)
- [5]Document 5 (traduction): Cartes extraites de manuels nazis (1939, 1941)
- [6]Document 6: Cartes extraites d'un manuel français de 1919