- Perceptions: le propre point de vue et celui de l'autre
- La guerre franco-allemande de 1870-71
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- La Première Guerre mondiale dans la conscience collective des Allemands et des Français
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- Allemands et Français: de la "haine héréditaire" à l'amitié, 1945-1963
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- Marianne (et Michel, aux côtés de l'Oncle Sam) au vent frais des années 40 et du début des années 50
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Remarques finales
Il nous semble que se manifeste ici encore plus nettement que dans d'autres dessins combien, pour les dessinateurs est-allemands (et aussi pour le lecteur du magazine Eulenspiegel, si l'hypothèse formulée plus haut quant à la quasi concordance de la perspective de l'auteur et de celle du lecteur est exacte), la France, ou plus exactement la République française, avait les qualités et la fonction d'un mythe positif ou d'une utopie concrète. Ce fut sans doute l'utopie de groupes sociaux, en particulier des intellectuels, pour lesquels la référence fréquente (s'exprimant souvent symboliquement par ex. par des noms de rue) aux auteurs républicains de gauche orientés vers la France, tels que Heinrich Heine et Heinrich Mann, participait d'une identité progressiste de la RDA. Ces espoirs projetés sur la France ont été certainement aussi brisés par les forces et les intérêts que de Gaulle et Adenauer représentaient, comme le montre bien le petit chaperon rouge de couverture créé par Kurt Poltiniak en 1959. Mais ce sont des facteurs endogènes, en particulier ce repli sur soi, cet emmurement voulu, qui ont joué un rôle décisif. Lorsqu'en 1961, la construction du Mur est présentée dans Eulenspiegel comme étant le fait du peuple, et en même temps, l'accomplissement de la pensée de Heine, il y a là reconnaissance - sans doute non voulue et inconsciente chez l'auteur - du fait que la référence aux traditions républicaines de gauche est tombée au niveau d'une simple phraséologie idéologique (11). Des images telles que celles que nous avons examinées ici ne seront plus désormais à l'ordre du jour (12).
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Notes
(11) Sur ce dessin de E. Jazdzewski (Eulenspiegel 36 / 1961, p. 3), un officier de l'Armée nationale populaire est-allemande fait son rapport au poète ("ordre exécuté, camarade Heine!") et fait devant lui le salut militaire; Heine est représenté quant à lui plutôt comme un dandy - une constellation de personnages abstruse et perverse; le lecteur apprend par une citation de Heine imprimée en haut du dessin de quel "ordre" il s'agit: "Voyez la Porte de Brandebourg / aussi haute et large que toujours / on pourrait tous vous y mettre dehors /vous tous, et le roi de Prusse encore/ c'est la quantité qui compte" [derniers vers du poème "Die Menge tut es": "Und es ist das Brandenburger Tor / Noch immer so groß und so weit wie zuvor, / Und man könnt' euch auf einmal zum Tor hinausschmeißen, / Euch alle, mitsamt dem König von Preußen - / Die Menge tut es."].
(12) Pendant la mise sous presse de cet ouvrage, j'ai reçu une lettre de Jean-Claude Gardes (Université de Bretagne occidentale, Brest) m'indiquant qu'il venait juste d'écrire un article dont la thématique était très proche de la mienne. Après avoir échangé nos manuscripts, nous avons constaté que nos interprétations présentaient par bonheur une grande concordance, à une nuance près, lorsque Gardes écrit: "L'objectif primordial de la revue n'est jamais de présenter un modèle politique français, de s'attirer les sympathies des Français, mais de faire apparaître dans le miroir français le militarisme du voisin allemand et l'absence de légitimité réelle de l'État ouest-allemand qui prétend toujours représenter l'ensemble des Allemands". J'aimerais pour ma part souligner que certains dessins est-allemands peuvent très bien être interprétés comme une déclaration d'amour à la France. Il convient d'attirer l'attention du lecteur intéressé sur le fait qu'en dépit d'une concordance fondamentale, nos deux études sont à certains égards plutôt complémentaires. La différence d'approche implique inévitablement aussi une différence au niveau des points forts et des points faibles. Ainsi, Gardes fait référence à des dessins dont je n'ai pas tenu compte (parce qu'ils ne concernent pas Marianne), et met par exemple plus l'accent que cela ne pourrait être le cas ici sur la critique du colonialisme français, qui me semble aussi essentielle. L'article de Gardes a pour titre "Rôle et fonction des représentations de la France dans la presse satirique est-allemande des années cinquante" et a paru dans l'ouvrage de Ernst Dautel et Gunter Volz publié en hommage à Jean-Paul Barbe: "Horizons inattendus. Mélanges offerts à Jean-Paul Barbe" (Stauffenburg-Verlag, Tübingen 1999). D'après le renseignement fourni par Jean-Claude Gardes, son article repose sur un chapitre de sa thèse d'État, qui n'est malheureusement pas disponible en version imprimée: "L'image de la France dans la presse satirique allemande. 1870-1970. Paris VIII. Thèse d'État 1990. 4 volumes (vol. 4: illustrations).