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Michel et Marianne chez Beier-Red - un cas particulier
En règle générale, comme nous l'avons déjà constaté, les dessinateurs est-allemands des années cinquante - entre autres - n'ont thématisé que les relations de l'Allemagne de l'Ouest et de la France et n'ont cessé ce faisant de dénoncer les intentions menaçantes de la République fédérale.
L'étonnante composition graphique de Beier-Red ne contredit pas cette tendance, mais va bien au-delà, dans la mesure où elle ignore la séparation des deux Allemagnes et semble présenter à nouveau le Michel allemand comme une allégorie nationale uniquement positive (Fig. 12). Sa création s'inscrit dans le contexte historique du traité de la CED. Elle montre un Michel qui ne porte pas son bonnet comme un bonnet de nuit, mais bien plutôt comme Marianne porte son bonnet phrygien, c'est-à-dire avec la pointe tournée vers son vis-à-vis, en une pose érotique, et non agressive. Par ce petit changement de position du bonnet, le dessinateur fait référence aux traditions graphiques progressistes des années 1848, dans lesquelles le vieux Bärenhäuter ["Peau-d'Ours"] (H. Heine) somnolent s'est transformé en révolutionnaire.
Michel et Marianne, c'est ici un couple révolutionnaire, une union pour le progrès, qui, à la différence de ses pendants ouest-allemands (avant tout des années 1962 et 1963, donc dans le contexte du traité de coopération franco-allemande, volontiers qualifié en République fédérale de "Freundschaftsvertrag" ["traité d'amitié"]), ne semble pas vouloir se préparer au mariage à l'Église. En dépit de tout amour, ces deux vigoureux jeunes gens forment une communauté de combat dont les adversaires sont désignés en toute clarté: un Adenauer habillé en soldat et un militaire américain. A côté du représentant allégorique de la nation allemande, on trouve donc un représentant métonymique de la RFA, le "chancelier des Alliés" (selon le mot de Kurt Schumacher) ou des USA, un chancelier manipulé. Selon les lois de la perspective, ces deux personnages sont représentés ici en taille réduite et relégués au bas du dessin. Le dessinateur en a fait intentionnellement des personnages marginaux (cf. Fig. 12), un tandem de méchants, en reflet parodique et déformé de la relation des protagonistes (à l'image du rôle du domestique dans la comédie) - des représentants du vieux monde qui ne veulent pas s'avouer leur défaite. L'histoire les a déjà dépassés, Marianne et Michel sont si occupés qu'ils ne semblent pas les remarquer. Les relations franco-allemandes - sans qu'une séparation de l'Allemagne en RFA et RDA soit ici opérée - rendent toutes autres relations superflues, et toute autre influence inopérante, comme l'exprime bien aussi la légende (de façon bien trop directe): "Si c'est comme ça, la guerre d'Amérique n'aura pas lieu". Un énoncé trop simpliste et inutile, l'image suffisant amplement à faire passer le message. Il ne s'agit ni plus ni moins que de l'avenir de l'humanité, comme l'indique la métaphore d'un seul et même monde. Dans ce contexte historique global, Michel et Marianne sont chez Beier-Red ceux qui empêchent la prochaine guerre mondiale et qui incarnent une humanité libérée, réconciliée; ils sont l'émanation d'une "vision utopique" (E. Bloch). La division des deux Allemagnes semble surmontée et la dimension nationale n'est plus un élément de séparation; l'affinité républicaine en a triomphé.
Ce que Helmut Hartwich a dit du dessin - en fait bien plus réussi - de Daumier, "Le dernier conseil des ex-ministres", vaut également ici, toute proportion gardée: "C'est une vision de bonheur à la fois sensuelle et expressive". (10) La scène toute entière respire une bonne humeur républicaine. Une image qui illustrerait bien les vues de Heine.
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Notes
(10) Helmut Hartwich: "Die Republik und andere allegorische Frauengestalten. Zum Verhältnis von Bild und Begriff bei Daumier". In: Daumier und die ungelösten Probleme der bürgerlichen Gesellschaft (Ausstellungskatalog). Neue Gesellschaft für Bildende Kunst, Berlin 1972.