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'Les motifs de la mobilité transnationale'
 
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Les motifs de la mobilité transnationale

Les motifs poussant les individus à quitter leur cadre habituel de vie, leur espace linguistique et culturel et à aller, pour une durée déterminée ou définitivement, en Allemagne en tant que Français ou en France en tant qu'Allemand, évoluent au cours des siècles en fonction de l'évolution socio-économique et politique. Au-delà du contexte historique spécifique à chaque cas, les causes de cette mobilité s'inscrivent en règle générale dans un ensemble de motifs concernant la formation, le travail ou la fuite.

Fig. 2

Le Grand Tour (Kavalierstour) était l'un des privilèges de la haute société, comme le montre l'exemple de l'étudiant aristocrate Wolff von Brösicke. Il est tout d'abord élève à la Particularschule à Berlin. Entre 1575 et 1578, il prend des cours avec un professeur à domicile à Lehnin. Il est ensuite élève à la Fürstenschule à Meissen, puis à l'université de Strasbourg. De là il se rend à l'université de Bâle en 1586, puis de 1548 à 1586 à Genève et Lyon. En 1586, il voyage en Italie et se rend entre autres à Naple, Rome et Venise. A partir de 1590, il poursuit ses études à Leipzig et visite au cours de l'été 1592 les villes "de Hollande et de Zélande". Il se rend ensuite à Londres et Oxford. Il rentre à Lehnin à la St-Michel (29 septembre) en 1594 après être passé par l'Ecosse, l'Irlande et "d'autres pays".


 Source Internet [1]

Les motifs basés sur les études et le travail constituaient davantage une unité aux XVIIIe et XIXe siècles qu'au XXe siècle. Cela apparaît clairement si l'on observe deux formes de rencontres entre Français et Allemands sur plusieurs générations: le "grand tour" (Kavalierstour [2] ) et la peregrinatio academica, qui furent observés jusqu'à la première moitié du XIXe siècle. Le grand tour menait de jeunes aristocrates dans le pays d'origine de l'épanouissement absolutiste de la somptuosité de la "société de la Cour" et leur permettait en même temps de faire l'apprentissage des techniques de représentation à la Cour et du gouvernement administratif. L'Allemagne ne disposait pas d'une capitale exerçant une attraction comparable à Paris; cependant de nombreuses petites et moyennes résidences offraient aux adeptes français de l'étiquette de la Cour la possibilité d'une activité enrichissante.

La peregrinatio academica, plus ancienne que le grand tour, menait pour une certaine durée des étudiants dans une université du pays voisin et leur permettait, en-dehors des études elles-mêmes, d'approfondir leurs connaissances de la langue et du pays. Certes depuis le XVIIIe siècle la mobilité dans ce domaine était plus grande de l'Allemagne vers la France qu'en sens inverse (et il en resta ainsi du fait du capital culturel unique de Paris), cependant au XIXe siècle on constate aussi une mobilité croissante de la France vers l'Allemagne qui se renforça après la guerre de 1970/71. Cette croissance repose sur l'idée que la défaite française serait due en grande partie à une plus grande efficacité des universités allemandes (suite aux réformes de Humboldt) et que l'on pourrait apprendre de l'adversaire comment surmonter une crise par le biais de réformes. Les académies scientifiques jouaient depuis longtemps un rôle important dans l'échange intellectuel. Ces "sociétés savantes [3] " et académies scientifiques virent le jour principalement au XVIIIe siècle et étaient très attachées aux idées des "lumières", puis au XIXe siècle à l'idée de progrès. Elles étaient par principe de caractère transnational et cooptaient leurs membres étrangers en fonction de leur réputation. Comme de nombreuses autres formes de coopération spontanée et individuelle entre les sociétés civiles, ces relations se dissolurent lors de la Première Guerre mondiale.

Fig. 3/4

La physionomie des artisans allemands à Paris: à gauche les tailleurs, à droite les cordonniers.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source: Deutsche Emigranten in Frankreich, Französische Emigranten in Deutschland 1685-1945. Eine Ausstellung des französischen Außenministeriums in Zusammenarbeit mit dem Goethe-Institut, Paris 1983, p. 89.
Source Internet [4]

Dans le domaine d'interaction dominé par la recherche de travail, il existait une relation d'échange tout aussi vivante et durable entre les sociétés civiles des deux pays de l'époque absolutiste à la Première Guerre mondiale. Les artisans et commerçants qui s'étaient établis dans les villes dans l'autre pays pour de tels motifs y constituaient non seulement une amorce de fondation d'une colonie nationale (notamment quand ils étaient prospères), mais aussi un point de chute pour les compatriotes de passage. En plus des célèbres représentants des métiers artisanaux très spécialisés (imprimeurs, menuisiers d'art etc.) et du commerce (non seulement à Paris, mais aussi par exemple à Bordeaux), cette catégorie comprend aussi les nombreux compagnons qui n'étaient pas à établis à leur compte: ne serait-ce qu'à Paris, ils étaient plusieurs milliers dans les années 1840. Les artisans et commerçants résidant temporairement ou constamment dans le pays d'accueil furent, notamment au XIXe siècle, les initiateurs de la création d'îlots culturels (i.e. de leur culture nationale) dans leur ville. Ces "colonies", dont la naissance et l'évolution n'ont jusqu'à maintenant que rarement fait à elles seules l'objet d'études, permettaient d'entretenir les relations locales au sein de la communauté ainsi que les relations avec le pays d'origine. De telles "colonies" avaient en général leur propre vie culturelle et sociale. Elles engendraient, pour un temps, leurs propres institutions religieuses, cabinets de lecture ou bibliothèques, journaux et associations d'entraide. Au tournant du XIXe au XXe siècle, ces colonies furent exposées à l'obligation croissante de s'assimiler due au nationalisme intégral pour finalement se perdre au cours de la Première Guerre mondiale.

Fig. 5

La tombe du poète allemand Heinrich Heine au cimetière de Montmartre à Paris

 

 

 

 

 

Source Internet

Dans les "sous-cultures" françaises en Allemagne et les "colonies" allemandes en France, on trouve aussi souvent des victimes de poursuites politiques ou religieuses qui, en plusieurs vagues massives, avaient cherché refuge dans le pays voisin depuis la révocation de l'Edit de Nantes [5] en 1685 et la révolution française de 1789. Au premier rang de ces mouvements d'exil se trouvaient au XIXe siècle notamment les représentants des métiers intellectuels (écrivains, journalistes), dont Heinrich Heine [6] devint l'emblème. Les grands mouvements politiques du XIXe siècle dont l'objectif était la création de la démocratie libérale ou sociale favorisèrent la naissance d'une intense communication par-delà les frontières nationales. L'intensification de l'échange des individus et des idées entre la France et l'Allemagne rendue possible par ces mouvements politiques se heurta cependant à des frontières structurelles érigées par les particularités politico-culturelles de chaque pays. Le courant bourgeois-libéral pacifiste qui se constitua dans les deux nations depuis la fin du XIXe siècle sous le signe des idées régulatrices de la codification du droit international public et de l'arbitrage international en est un exemple. Un autre exemple est l'Internationale socialiste [7] , qui échoua entre 1889 et la Première Guerre mondiale du fait des différences structurelles entre les mouvements socialistes des deux pays et de la pression croissante de la concurrence impérialiste.