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Un cas à part: les balayeurs hessois de Paris
Au 19ème siècle, des hameaux entiers de la Haute-Hesse organisaient entre eux un système de roulement pour venir à Paris balayer les rues. Il existait chez ces Hessois une véritable fierté professionnelle: selon eux, personne ne balayait les rues aussi bien que les Hessois. Leur embauche à Paris n'était pas seulement favorisée par les autorités municipales, on allait même jusqu'à faire de la publicité directement dans les villages pour vanter les séjours à Paris.
La population hessoise de Paris présentait toutes les caractéristiques d'une "colonie": la durée du séjour à Paris était fixée dès le départ. Ils désiraient travailler quelques années - souvent une dizaine d'années, parfois plus - pour revenir ensuite au pays avec quelques sous. Nombreux aussi sont ceux qui partaient à Paris avec le désir de se marier. Les mariages à l'étranger étaient en effet officiellement reconnus de retour au pays, alors qu'en Hesse même, il fallait disposer d'un certain capital pour se marier. Sur le plan des relations avec le pays d'origine, les Hessois adoptaient donc une stratégie de maintien (Note 12).
Ils conservaient leur religion, leurs mœurs et leurs pratiques. Neuf fois sur dix, les Hessois se mariaient entre eux, les conjoints habitant généralement déjà à la même adresse avant le mariage. Les témoins appartenaient la plupart du temps à la famille. Ils vivaient d'ailleurs souvent sous le même toit que les mariés ou quelques maisons plus loin. On trouvait aussi dans le voisinage des débits de boisson et des garnis tenus par des Hessois. Ce type de migrations, en famille et par village, tend à confirmer l'existence de réseaux. Les nouveaux arrivants pouvaient compter sur l'aide des plus anciens pour trouver un logement ou du travail.
Les Hessois vivaient à Paris dans des conditions misérables et restaient souvent reclus dans les grands centres de banlieue. Le service commençait à 3 heures du matin; les rues devaient être balayées par tous les temps, en toutes saisons. Les enfants travaillaient jusqu'à 9 heures, les femmes jusqu'à 11 heures. Les hommes, qui terminaient leur service l'après-midi, gagnaient 2,5 fr. par jour, les femmes et les enfants encore moins.
Les Hessois n'entraient guère en contact avec les Français. Ils n'apprenaient pas la langue du pays. Seuls les enfants, qui grandissaient dans les rues et ne voyaient que rarement leurs parents, apprenaient le français mais, en contrepartie, ils parlaient de moins en moins allemand. Peu à peu, parents et enfants ne parvinrent plus à se comprendre. A la demande des Hessois, le pasteur Bodelschwingh fonda deux paroisses dans le nord de Paris, comprenant chacune une école, qui suivait rigoureusement les programmes scolaires en vigueur en Hesse.
Le pasteur Bodelschwingh à propos de l'école allemande à Paris (Note 13): C'est une colonne bigarrée qui vient ici le matin entre 8 et 9 h., grimpant, sous les arbres, les marches qui mènent au sommet de notre colline, ce sont des enfants originaires de plusieurs pays, de Bade, du Wurtemberg, de Bavière, de Hesse, de Prusse, de l'Alsace et de la Lorraine allemandes, presque tous ont les cheveux blonds, de sorte que l'on voit aussitôt qu'il s'agit d'un défilé d'enfants allemands. A quelques exceptions près, ce sont des enfants de gens vraiment pauvres, qui rejoignent notre école allemande, des enfants qui doivent aider leurs parents le reste du temps à gagner de quoi acheter le pain quotidien. Un grand nombre travaille dans les fabriques d'allumettes des environs, où ils trouvent de la besogne à partir de 7 ans. Ce sont des lieux malsains, des lieux dans lesquels très tôt les enfants voient et entendent des choses épouvantables et impures. Leurs hottes sur le dos, d'autres enfants doivent ramasser des chiffons la nuit tombée. Ils rentrent seulement le matin entre 8 et 9 h., prennent un morceau de pain et se pressent sur le chemin de l'école. D'autres encore, reconnaissables à leurs visages blêmes, assis de l'aube jusqu'à une heure avancée de la nuit dans l'appartement insalubre de leurs parents, doivent effectuer toutes sortes de travaux très mal payés, qui ne rapportent un petit quelque chose qu'après un labeur des plus épuisants. Bien sûr, ceux qui ont le temps de traîner avec les enfants des rues ne sont pas plus favorisés. Au début, certains nous arrivaient tellement sales et débraillés qu'il fallait continuellement les renvoyer chez eux se laver jusqu'à ce qu'enfin on pût les faire assoire convenablement parmi les autres enfants. Ces pauvres enfants ont bien souvent des parents pitoyables, chassés de leur patrie pour des motifs peu avouables: parce qu'ils y ont fait de la prison ou parfois pour des raisons plus consternantes encore. Mais parmi eux, on trouve aussi d'honnêtes gens ayant émigrés avec leurs progénitures à cause de la faim, à une époque où les pommes de terre étaient chez nous gâtées.
Extrait de: Evangelisches Monatsblatt für Westfalen, Hauptarchiv der v. Bodelschwinghschen Anstalten Bethel, 2/90 - 29.
De son côté, l'Eglise catholique dirigeait des paroisses allemandes à Paris dont les deux principales activités résidaient également dans l'office religieux et l'enseignement scolaire en allemand. Dans la banlieue nord de Paris, à La Villette, l'actuel 19ème arrondissement, on dénombrait en 1858 1.000 protestants allemands pour environ 10.000 catholiques. Selon certaines estimations, 30.000 Allemands vivaient à La Villette peu avant la guerre franco-allemande. C'est pour cette raison qu'à cette époque, les ouvriers français appelaient le quartier la "petite Allemagne" (Note 14).
La guerre de 1870-71 marque une deuxième grande césure dans l'histoire de l'immigration allemande à Paris. La plupart des Allemands de la capitale furent expulsés après la défaite de Sedan. Les femmes, les enfants, les malades et les vieux, ainsi que ceux qui ne pouvaient payer le voyage, restèrent sur place. 5.000 Allemands environ se trouvaient à Paris pendant la guerre et la Commune.
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Notes
12) Barrie Rattcliffe, Imaged Places / Imaged Spaces in Pre-Haussmann Paris: Deconstruction early Photographs of the City ; Reconstruction Popular Cultures, in: Alan Sears (Ed.), Urban Places, Urban Pleasures: The Cultural Use of Civic Space, Windsor, 2002, pp. 47-107.