- Des cultures différentes, aspects du transfert culturel
- Etude comparée des structures culturelles du Bade-Wurtemberg et de la région Rhône-Alpes
- Médias: une politique industrielle pour le site médiatique français
- Introduction
- Les unes de deux grands quotidiens "suprarégionaux": LE FIGARO et la FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG (FAZ)
- Le portage à domicile contre la vente au numéro
- Stratégies
- Le fédéralisme allemand par opposition au centralisme français
- Le mouvement inverse à l'heure actuelle
- Perte d'annonces, gain de lecteurs?
- Les médias de référence
- La presse populaire
- La presse populaire en France - AUJOURD'HUI EN FRANCE et FRANCE-SOIR
- Annexe: Bien plus criarde: la presse populaire en Angleterre
- Conclusion
- Bibliographie
- Un beau rêve qui tourne au cauchemar? Une approche innovante des versions en ligne des quotidiens et magazines
- ARTE, la télévision dans le dialogue interculturel
- Le rôle de la télévision: une comparaison franco-allemande
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La presse populaire en Allemagne - BILD-Zeitung
Il va de soi que BILD a le monopole de la presse populaire en Allemagne. Avec ses 23 éditions locales (55) et une diffusion de plus de 4 millions d'exemplaires (56), ce journal domine le marché et est le seul vrai quotidien national en Allemagne (57).
C'est Axel Springer qui a relancé le genre de la presse populaire en Allemagne en 1952 à Hambourg en copiant le modèle anglais du DAILY MIRROR. Son exemple a été suivi par plusieurs éditeurs de journaux: EXPRESS à Cologne et Düsseldorf, ABENDZEITUNG et TZ à Munich, HAMBURGER MORGENPOST à Hambourg (58). Le groupe Springer - dont le chef est mort en 1985 - contrôlait en 1998 BILD, HAMBURGER ABENDBLATT, DIE WELT, LEIPZIGER VOLKSZEITUNG, BZ, BERLINER MORGENPOST et 10 autres quotidiens, ce qui représente 23,7% du marché des quotidiens allemands (dont 80,5% de la presse de boulevard) (59).
On trouve sur la une beaucoup d'images et peu de texte, comme le nom du journal "BILD" (= image) l'indique déjà. On ne s'attend pas à ce que les lecteurs aient une culture élevée. L'article "Wir vom Bau haben die besseren Luder" (60) (voir fig. 7 ci-dessus) nous fait comprendre pour quels groupes sociaux ce quotidien populaire est produit. Le bandeau de la une du 18 avril 2001 est énorme et contient le titre principal ainsi qu'une publicité. Si l'on regarde donc la tribune, on remarque que le titre du journal se trouve plutôt en bas à gauche et non en haut de page comme dans la plupart des journaux sérieux.
Examinons les contenus et le langage. Le titre principal "Killer-Pärchen gefasst" (61) comporte clairement un jugement. Il se peut que les deux personnes n'aient pas été condamnées, mais BILD les présente comme si c'était le cas. En outre, la description "Killer-Pärchen" contient une forte connotation négative. BILD produit donc des opinions au lieu de laisser au lecteur le choix d'un avis personnel. Depuis l'affaire Günter Wallraff (qui a travaillé sous un autre nom comme journaliste chez BILD et qui en a ensuite révélé les pratiques), tout le monde sait que le journal néglige quelquefois la vérité en truquant des images et des articles pour avoir un article à sensation sur la une et pour faire augmenter ainsi la diffusion. Il est hors de doute que les thèmes abordés sur la une du 18 avril 2001 ne sont pas des analyses détaillées sur des sujets actuels comme on peut les trouver dans les journaux sérieux. Ce sont plutôt des informations "privées" sur des personnages impliqués dans certains événements.
Visualisation (promis par le titre BILD), personnalisation, narrativisation: voilà la fameuse "proximité aux lecteurs". Selon le rédacteur en chef de BILD, la recette du succès de son journal, c'est "l'infotainment", on présente ce que le public veut lire. En outre, le journal se dit informatif, mais en général, ce n'est qu'une impression, on n'y informe pas vraiment les lecteurs. Malgré la première impression que l'on pourrait avoir d'un langage très enclin au code oral en regardant quelques gros titres de la une de BIID, les choses ne sont finalement pas si simples. Dans ses textes, BILD utilise bien souvent le prétérit allemand (même des verbes moins fréquents, ce qui constitue un critère du code écrit). Ses journalistes respectent en général les normes du discours indirect allemand en employant les formes correctes du subjonctif.
Autre indice très clair du code: le génitif qui revient fréquemment dans leurs textes, même dans ceux de la une. A vrai dire, ce langage se trouve donc plutôt au milieu du continuum code oral - code écrit: il est proche de l'oral par son vocabulaire mais en même temps conforme à l'écrit par sa grammaire - en exceptant toutefois la parataxe [1] quasi omniprésente, cette parataxe qui est si facile à consommer… (62)
Ajoutons que BILD se donne comme "avocat" du peuple, ce qui peut être reconnu dans l'article "Mallorca-Steuer: Majestät, stoppen Sie diesen Unsinn" (63). La rédaction prétend défendre les intérêts de ses lecteurs auprès des hommes et femmes politiques. On voit donc par ce qui précède que BILD satisfait le goût du sensationnel des Allemands (64) puisque ce quotidien est en position de critiquer ouvertement tout le monde vu l'absence de subventions de l'Etat (65).
En dernier lieu, il est indispensable de préciser qu'à l'heure actuelle, on constate une baisse de diffusion de la presse populaire en Allemagne. En 1984, année inaugurale des chaînes TV privées outre-Rhin, BILD diffusait encore 5,257 millions d'exemplaires, tandis qu'en 1999, ce n'étaient plus que 4,409 millions (16 % de moins). Après avoir fêté ses 50 ans en juin 2002, la diffusion du journal a chuté - la première fois depuis 28 ans - au-dessous du seuil de 4 millions (66). Une baisse encore plus importante a d'ailleurs frappé les autres titres populaires et de vente directe, p. ex. l'EXPRESS et la HAMBURGER MORGENPOST. Les raisons sont évidentes: l'économie du pays est devenue moins forte, la population a moins d'argent, la télévision privée fait des émissions populaires pendant pratiquement toute la journée et les grands journaux régionaux consacrent beaucoup plus d'espace aux thèmes populaires et publient plus d'articles dans ce champ (67). Eux aussi, ils se sont rapprochés des lecteurs
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Notes
(55) Déjà depuis 1990.
(57) Cf. fig. 7, en bas à gauche: "Bild steigert Auflage um 41.085 Exemplare". (Traduction: Bild augmente son tirage/ sa diffusion de 41.085 exemplaires.) La dernière phrase de cette brève démontre bien la proximité aux lecteurs: La rédaction remercie son lectorat pour leur fidélité. Pour l'histoire de BILD, voir Wilke 1999,93, 124 et 638.
(58) Cf. Albert/ Koch 2000, 54 s.
(59) Cf. Albert/ Koch 2000, 94 s.
(60) Traduction: " Nous qui travaillons sur des chantiers, on a les meilleures bougresses ". Notez ici le langage vulgaire et l'emploi des expressions du code oral à l'écrit.
(61) Traduction: "Couple meurtrier arrêté".
(62) Pour plus de détails sur le langage des titres et des textes de BILD, voir l'étude de Mittelberg 1967, véritable travail de pionnier, puis les thèses de Büscher 1996, Voss 1999, Schirmer 2001 et, du point de vue de la linguistique des variations, la contribution de Grosse contenue dans la partie initiale du livre de Gorsse/Seibold 2003, p. 15-40.
(63) Traduction: "Taxes à Majorque: Majesté, arrêtez cette idiotie!" Remarquez ici encore une fois l'emploi du langage familier "Unsinn" à l'écrit (il n'y a pas de mot populaire correspondant en français). A noter égaIement: On s'adresse directement au roi d'Espagne.
(64) Die Woche, 12/3/1999; Rheinischer Merkur, 31/7/1992.
(65) La seule restriction à ce propos est le fuit qu'en 1985 à la mort d'Axel Springer, le groupe Springer a cédé des participations au groupe Kirch (supporté par la CSU et supportant la CDU/ CSU). Dans le quotidien BILD, on ne trouvait donc pas de critique ouverte des activités du groupe Kirch (qui a fait faillite en 2002).
(66) 3,952 millions au quatrième trimestre 2002 (FinanciaI Times Deutschland, 13/1/2003, 3). - Voir aussi l'article du Monde du 26/6/2002, 18, consacré aux 50 ans de BILD.