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Régions de programme et décentralisation
Depuis les années 1950, des voix s'élèvent en nombre croissant et de plus en plus fort pour réclamer le "démontage" du système centraliste et donc la décentralisation [1] des processus de décision politiques (et économiques), ceci avec en toile de fond une structure laissant apparaître un déséquilibre très net entre la région de la capitale et le reste du pays. Ces revendications pouvaient s'appuyer sur une longue tradition de tentatives de décentralisation de la part de la société qui avaient pour but de transférer les compétences de décision et d'exécution de la capitale vers des conseils des collectivités territoriales élus. Il s'agissait là de tentatives lourdes de conflits qui furent périodiquement l'occasion de débats publics passionnés et engendrèrent finalement plusieurs élans vers une réforme du système. L'analyse de l'expert en économie Jean-François Gravier en 1947 avait eu un effet véritablement électrifiant: dans une étude sur les structures économiques du pays, il avait qualifié les régions situées en dehors des limites de Paris de "désert français".
Fig. 31
Le découpage administratif actuel de la France en départements et régions
Source Internet [2]
L'évolution récente est moins empreinte de cette idée que des efforts de l'Etat central pour dissiper les disparités régionales au moyen de mesures d'aménagement du territoire. Afin d'atteindre cet objectif, la France commença dès après la Seconde Guerre mondiale à établir des plans pluriannuels [3] pour diriger l'économie [4] de manière globale et centrale. Le premier plan [5] (1947-53) contenait surtout des mesures de reconstruction suite à la guerre. Au cours des plans suivants, les sujets principaux ont clairement évolué, l'idée de décentralisation y gagnant de plus en plus en importance. Il faut souligner que ces plans ne représentaient qu'un cadre d'orientation, jamais un concept rigide (comme les plans économiques dans les pays socialistes) avec des objectifs obligatoires. Cependant la politique de subventions et de crédits exercée par l'Etat permettait à celui-ci d'influer sur le domaine de l'économie privée dans le sens des objectifs fixés (Menyesch & Uterwedde 1982, p. 58).
L'inconvénient de ces plans était que, étant influencés par les changements successifs de majorité parlementaire et des conceptions politiques de base, ils contenaient sans cesse de nouvelles priorités, ce qui fait que l'on ne saurait parler d'une continuité dans la planification. Par exemple dans le 5ème et le 7ème plans quinquennaux (1966-70 et 1976-80), l'accent était mis sur le soutien au développement économique au niveau régional, tandis que le 6ème plan quinquennal (1971-75) donnait priorité au développement de certains secteurs de l'économie, notamment l'industrie. Le CIAT (Comité Interministériel de l'Aménagement du Territoire, 1960, aujourd'hui CIADT [6] : Comité interministériel de l'aménagement et du développement du territoire) et la DATAR [7] (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale, 1963), laquelle dépend directement du Premier Ministre, ont été créés spécialement pour le soutien et la coordination du développement régional.
L'une des principales mesures concernant la réorganisation du territoire [8] est l'instauration, dès 1955, de 21 "régions de programme [9] " (22 depuis 1972), même si leur statut resta tout d'abord relativement obscur. Il leur manquait notamment des organes et des compétences propres. En règle générale, elles comprenaient plusieurs départements; la délimitation des régions fut effectuée par la bureaucratie parisienne centrale sans consultation de la population et au mépris de nombreuses attaches historiques et culturelles. En 1964, la nomination de préfets de région ainsi que la création de Commissions de Développement Economique Régional (CODER) apportèrent un certain renforcement institutionnel des régions de programme. Mais le préfet de région, lui aussi, n'était tout d'abord rien d'autre que le prolongement du bras de Paris, d'autant plus que souvent il était en même temps préfet de l'un des départements de la région qu'il devait représenter. Sa tâche principale consistait seulement à veiller à la mise en œuvre des décisions du gouvernement pour la région et à coordonner leur réalisation avec les autres préfets. Quant aux CODER, elles n'avaient, elles aussi, qu'une fonction consultative.
L'idée qui était à la base de la création des régions de programme était de donner des impulsions économiques régionales. En conséquence, des premières mesures de soutien au développement économique furent mises en place à partir du milieu des années 1950. Elles consistaient à encourager les entreprises industrielles à s'établir en province en limitant parallèlement leurs possibilités de s'établir en Ile-de-France. Mais dans les programmes de soutien de la période qui suivit, on ne constate pas davantage de continuité, l'un des principaux problèmes étant que le terme de décentralisation n'a jamais été défini de façon concrète. Brücher (1992, p. 142) s'est attaqué au problème et en arrive, après examen de nombreuses sources, au résultat suivant: "Officiellement on entend par opération de décentralisation industrielle le transfert de l'ensemble ou de domaines partiels d'une entreprise industrielle ayant en Ile-de-France au moins un site de production de celle-ci vers la province; les domaines partiels en question peuvent être l'administration centrale (siège), les services hors-production ainsi que des sites et unités de production. En revanche il s'agit d'une extension décentralisée lorsque qu'une entreprise produisant en Ile-de-France crée ou agrandit un site en province sans effectuer de transfert. On ne doit donc recenser que les entreprises "véritablement parisiennes", c'est-à-dire qui y ont aussi leur(s) site(s) de production; de simples créations d'usines secondaires (créations décentralisées) pratiquées par les nombreuses entreprises n'ayant à Paris qu'un service administratif (principal ou pas) ne sauraient être qualifiées de décentralisation".
Peut-être le fait que la décentralisation industrielle n'a pas apporté de résultats convaincants jusqu'à l'arrivée à la Présidence de la République de François Mitterrand en 1981 est-il dû à ce problème d'un manque de concrétisation des objectifs. De 1951 à 1980, la plus grande partie (et de loin) des entreprises décentralisées ne l'a été que dans un rayon de 300 km autour de la capitale. Et encore, ce n'est là qu'une demi-vérité. Face aux 462.000 emplois créés en province dans le cadre d'environ 3.000 décentralisations entre 1955 et 1975, on ne trouve en Ile-de-France qu'une perte de 162.000 emplois directement liée au transfert. Il n'y a donc eu une création nette que de 300.000 emplois. Nombre d'entre eux disparurent à nouveau en l'espace de quelques années, que ce soit à la suite de mesures de rationalisation ou de fermetures d'usines, après l'écoulement de la phase d'aides aux investissements et d'avantages fiscaux.
Tous comptes faits, ces amorces ont été peu efficaces, ce qui amena le Président Mitterrand après son élection à faire de la décentralisation l'affaire du Chef de l'Etat. Les lois sur la décentralisation [10] promulguées dès 1982 visaient principalement à accorder une plus grande autonomie aux collectivités locales et à favoriser les possibilités d'accès direct des citoyens à la vie politique. Les principales nouveautés apportées par les lois promulguées sous Gaston Deferre (alors Ministre de la Décentralisation) à partir de 1982 étaient:
- La transformation des régions de programme en collectivités territoriales autonomes avec un conseil régional élu au suffrage direct et un président également élu librement;
- La suppression de la tutelle administrative, c'est-à-dire du contrôle administratif effectué par le pouvoir central.
Concernant le succès ou l'échec de ces mesures, les avis sont aujourd'hui encore partagés. Pour les uns elles vont trop loin, pour les autres pas assez. Ce qui est frappant, c'est qu'en 1994 le gouvernement Balladur a présenté un projet de loi sur l'aménagement du territoire dans lequel l'évolution de la structure territoriale devait faire marche arrière afin de renforcer à nouveau le rôle de l'Etat, de faire face à certains excès de la décentralisation et d'assurer la cohésion de la nation (d'après Große & Lüger 1966, p. 35). La crainte observée depuis des siècles que l'Etat unitaire puisse être menacé par des intérêts régionaux et particuliers est ici à nouveau clairement apparue. Mais d'un autre côté, des protestations véhémentes dans tout le pays empêchèrent l'adoption de ce projet de loi. De plus, le 28 mars 2003 la Constitution a été modifiée de telle sorte que la France aura désormais une "organisation décentralisée" (article 1er de la Constitution, modifié). A cette occasion, les régions ont été élevées au rang de collectivités territoriales de la République française (article 72 de la Constitution, modifié).
Il n'est cependant pas certain que les régions aient véritablement gagné une plus grande liberté de décisions. Les moyens financiers de l'Etat ne sont toujours accordés aux régions que dans le cadre de contrats de plan qui doivent être compatibles avec les objectifs nationaux supérieurs. Les subventions de l'Etat représentant jusqu'à 60% du montant des investissements, les régions restent étroitement dépendantes des objectifs formulés à Paris.
Mais il est certain aussi que la structure actuelle ne restera pas le dernier mot. Depuis que les régions de programme ont été instaurées, elles ont été l'objet de nombreuses et véhémentes controverses et critiques. Ainsi déjà lors de la préparation du Vème plan (1966-70), une division du territoire en grandes régions avait été effectuée, celles-ci étant regroupées en trois catégories: les régions de l'est, les régions de l'ouest et la région parisienne. La commission responsable de la préparation du VIème plan (1971-1975) proposa une division en huit zones d'études et d'aménagement du territoire (ZEAT): Région parisienne, Bassin parisien, Nord, Est, Ouest, Sud-Ouest, Centre-Est et Méditerranée. Depuis, il y a eu d'autres réflexions sur le sujet, notamment dans le cadre de l'européisation avec une adaptation des structures administratives à celle des pays voisins en tenant compte des critères édictés par les administrations de Bruxelles (NUTS, comp. contribution Th. Ott [11] ).
Cette réorganisation fait naître des espoirs placés assez haut, notamment en ce qui concerne la prise en considération de frontières historiques et culturelles comme jadis, du moins dans la phase initiale de l'évolution, quand elles correspondaient aux structures territoriales. A ce sujet, il est intéressant d'examiner la notion de "pays" telle qu'elle est définie par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995 (Loi 95-115 [13] ). Cela ne représente certainement pas un pas en arrière vers les structures de la Gaule celtique, mais peut-être le début d'un redécoupage dans lequel les collectivités territoriales prévues par la Constitution s'inspirent davantage des espaces historiques et culturels d'identification.
Liens:
- [1]http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/decentralisation.asp
- [2]http://www.quid.fr/france.html
- [3]http://www.plan.gouv.fr/mission/index.php
- [4]Les plans économiques français 1947-1997
- [5]http://www.plan.gouv.fr/mission/index.php
- [6]http://www.datar.gouv.fr/datar_site/datar_framedef.nsf/webmaster/ciadt_framedef_vf?OpenDocument
- [7]http://www.datar.gouv.fr/
- [8]http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr/jospin_version2/PM_INSTIT/COLL_TERR.HTM
- [9]http://perso.wanadoo.fr/geo.france/textes/cdr3.htm
- [10]http://www.premier-ministre.gouv.fr/chantiers/decentralisation_545/
- [11]L'Europe des régions du point de vue géographique
- [12]http://irpud.raumplanung.uni-dortmund.de/irpud/pro/ten/nuts_e.htm
- [13]http://www.jura.uni-sb.de/france/adminet/jo/INTX9400057L.html