L'industrie française entre 1850 et 1945 est considérée par un certain nombre d'historiens économistes comme peu dynamique et retardée, puisque la France n'est jamais devenue une société industrielle au plein sens du terme, c'est-à-dire au sens d'une prépondérance du secteur industriel, puisque le secteur agricole est resté bien plus important qu'en Allemagne, que les grandes villes et entreprises industrielles ont été bien plus rares, et que l'économie française a joué à cette époque un rôle bien plus modeste sur le marché mondial.

D'autre historiens réfutent cette interprétation, affirmant que le rendement de l'économie française dans son ensemble n'a été que légèrement en retard sur celui de l'Allemagne entre le milieu du XIXe et le milieu du XXe siècle. A leurs yeux, le développement de la France entre 1850 et 1945 n'est pas à voir comme un retard, mais comme une voie d'industrialisation différente de celle de l'Allemagne. Ils avancent l'argument que l'économie française était plus axée sur le marché intérieur, détenant un plus fort pouvoir d'achat, et moins sur l'exportation. L'industrie des biens de consommation et le secteur tertiaire y jouaient par conséquent un plus grand rôle. A la différence de l'Allemagne industrialisée, l'industrie charbonnière, l'industrie sidérurgique et l'industrie des biens de production ont joué en France un rôle moins important. Cette autre voie d'industrialisation de la France, avec ses transformations sociales plus lentes, sa croissance urbaine plus faible, et ses taux de natalité extrêmement bas par rapport aux autres pays européens à cette époque, ont contribué à une certaine stabilité sociale du pays. La mortalité des jeunes mères et des enfants en bas âge, la criminalité et les craintes liées à la modernisation ont été moins prononcées en France qu'en Allemagne. L'État français s'est donc vu moins obligé d'intervenir.

Pendant les Trente Glorieuses ^[4] , des années 1950 aux années 1970, la France et l'Allemagne de l'Ouest ont par contre connu un processus économique plus similaire. Les taux de croissance n'ont pas seulement augmenté en RFA, le pays du miracle économique ^[5] , mais également en France, où ils ont même été supérieurs pendant d'assez longues périodes. Les taux de natalité ont progressé en France, jusqu'à devenir les plus élevés de toute l'Europe de l'Ouest. Les villes ont pris de l'extension et les structures de l'emploi se sont rapidement modifiées. L'industrie française s'est tournée vers l'exportation, non plus seulement de fromages, de vins et de parfums, mais aussi, comme en Allemagne, de produits industriels, de voitures, de machines et de produits chimiques.

Un nombre sensiblement égal de grandes entreprises ont été créées en France comme en Allemagne. La société française a profondément évolué. On peut dire rétrospectivement que les sociétés française et allemande se sont rapprochées comme jamais depuis le début de l'industrialisation, tout en développant chacune une dynamique radicalement différente. La voie française de l'industrialisation a commencé par de lents changements, le processus ne s'est pleinement développé que vers la fin - pendant les Trente Glorieuses. L'Allemagne a suivi par contre la voie de l'industrialisation plus classique, caractérisée à ses débuts par la révolution industrielle, une époque très dynamique s'accompagnant de crises massives et de troubles sociaux.