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- Dimensions européennes de la coopération économique
- La France et l'Allemagne dans le système international
- Allemagne-France-Pologne: trois voies dans l'histoire de l'Europe
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- Le "Triangle de Weimar" - Les relations franco-germano-polonaises en tant que moteur de l'intégration européenne
- Le Triangle de Weimar dans l'Union élargie
- Allemagne - France - Europe de l'Est : dimensions historiques et nouvelles options
- Les acteurs économiques allemands et français en Europe de l'Est: une présence inégale
- La stimulation du dialogue européen avec la Russie: l'Allemagne, la France et la Russie, des partenaires stratégiques pour l'Europe
- Introduction
- Repenser la définition de "l'Europe Centrale"
- Conclusion
'L'éternelle question sur les limites de l'Europe à l'Est'
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L'éternelle question sur les limites de l'Europe à l'Est
Pour Bruxelles l'Ukraine est une sorte de lapsus. Pour l'instant pas si odieux que ne l'est la Biélorussie. Bien sûr, officiellement nos autorités déclarent leurs intentions de l'intégration dans l'UE et l'OTAN. Mais tout finit en déclarations. Le site de la revue "JI" [1] affiche depuis plus d'un an la carte de la future Europe, laquelle, à notre avis, reflète la vision de celle-ci depuis Bruxelles. On voit sur cette carte, entre l'UE et la Russie, une mer à la place de l'Ukraine. Sans aucun doute, cette situation serait idéale pour tout le monde. Cependant l'Ukraine existe - et c'est là le problème. Pour le moment l'UE ne fait que l'ignorer, car pour elle l'Ukraine est l'unité "non grata". Pas seulement parce qu'elle a un tel régime politique plutôt qu'un autre. En partie, la forme du régime politique en Ukraine est la conséquence de cette ignorance totale du pays de la part de Bruxelles, et pas seulement le témoignage de l'incapacité du peuple ukrainien à gérer ses affaires ou bien de "la main de Moscou".
Fig. 2
"Le site de la revue "JI" affiche depuis plus d'un an la carte de la future Europe, laquelle, à notre avis, reflète la vision de celle-ci depuis Bruxelles. On voit sur cette carte, entre l'UE et la Russie, une mer à la place de l'Ukraine."
Source Internet [2]
Il reste quand même quelques points dont la vénérable conférence devrait tenir compte. En développant une discussion sur l'Europe Centrale il faut au moins préciser deux termes: "l'Europe" et "le Centre". En ce qui concerne le terme "Europe" tout le monde sera d'accord qu'il s'associe avec quelque chose de positif, de digne de respect, de civilisé, et en même temps de bien réussi. Appartenir à une telle Europe, tous le voudraient, et surtout les nouveaux membres de l'UE. Il faut tout de même se rappeler qu'historiquement il y avait eu diverses définitions de l'Europe. Les géographes qui s'intéressaient aux montagnes et aux mers, en décrivant le territoire qu'ils ont eu la témérité d'appeler Europe, le faisaient étendre jusqu'à l'Oural et au Caucase. Ces limites de l'Europe restent actuelles dans les écoles primaires de l'espace post-soviétique.
Les critères de la délimitation de l'Europe dont se servent les politiciens ne sont pas aussi immuables que ceux des géographes. Ils sont guidés par les intérêts politiques qui font place de temps en temps à une simple courtoisie ou à un cynisme ouvert. Le général de Gaulle, de la hauteur de sa taille, a eu l'audace de tracer la frontière de l'Europe en la plaçant à l'Oural et en disséquant en deux le corps de l'URSS, qui n'était en réalité rien d'autre que la Russie. On se demande seulement ce que doit faire la Russie avec sa "queue" sibérienne (75% du territoire et 20% de la population).
Entre-temps, la jeune Union Européenne (sous pression des Etats-Unis) a eu l'audace d'inviter la République de Turquie à devenir son membre (5% du territoire européen jusqu'au Bosphore). De cette façon les géopoliticiens ont repoussé les frontières de l'UE jusqu'au Tigre et à l'Euphrate - berceaux de la civilisation. En décembre 2004 il faudra répondre pour cette "audace" en signant (ou pas) avec la Turquie le plan d'actions concernant son entrée dans l'UE ou bien, peut-être, en faisant toujours tourner les têtes de ces Turcs si crédules. Mais ceci est dangereux. Ils sont déjà plus nombreux à Berlin qu'il n'y en avait pas sous Vienne en 1683, lorsque l'Europe Centrale a été sauvée par Jan III Sobiesky [3] , roi des Polonais (non sans l'aide des troupes Zaporogues avec Sémen Paliy à la tête). A cet égard la position du département des US est assez curieuse: après un très court laps de temps, lorsque l'Ukraine était incluse dans "l'Europe", celui-ci ne définit même plus ce que représente l'espace s'étendant de Péremychl jusqu'à Vladivostok.
Paradoxalement, cet espace ne figure même pas sur les cartes américaines (ce n'est pas une plaisanterie). Les politiciens américains sont sans doute désorientés. Pour eux, tout cet espace constitue ce que les nationalistes russes appellent l'Eurasie. L'Ukraine est totalement exclue de cette représentation car elle n'a pas de "queue" asiatique. Malheureusement, sans le rattachement à la Russie, l'Ukraine n'arrivera jamais à devenir un vrai pays eurasien. En même temps on ne peut pas s'empêcher de remarquer que toutes ses choses bien révolues constituent les péchés mignons des vieux politiciens. A l'heure actuelle le terme "Europe" est très cyniquement exproprié en faveur de l'UE, car en réalité c'est l'UE qui croit l'être et qui se donne le nom de l'Europe. On peut l'accepter ou non. Mais tel est l'état des choses. Les Ukrainiens comme tous les autres devront finalement s'y résigner. Il faudrait aussi se souvenir ici des intellectuels, ceux qui après la catastrophe européenne du 1945 se sont mis à chercher de nouvelles bases pour l'Europe. Ils recherchaient les bases spirituelles du Vieux Monde, s'appuyaient sur les idées du christianisme. Mais c'est en Europe que le christianisme a commencé à décliner en se développant de façon surprenante en Amérique Latine. Les chercheurs plus rigoureux ont limité l'Europe au monde latin ou au monde du christianisme latin en rejetant les pays communistes post-orthodoxes, avant tout la Russie. Cependant, les héritiers de l'écriture grecque et de la tradition chrétienne grecque n'arrivaient pas à rentrer dans cette conception de l'Europe. Les héritiers de la tradition "grecque" ou "byzantine" étaient bel et bien rejetés de cette Europe. C'est vrai que la place de la Grèce dans le nouveau projet de l'UE devenait un peu vague pour ces puristes latins.
Samuel Huntington a essayé, avec son ardeur d'un néophyte américain, de couper ce nœud gordien en séparant le monde orthodoxo-islamique ( ?) du monde latin. Dans le feu de cette opération il n'a même pas remarqué avoir coupé en deux l'Ukraine et la Biélorussie. Quant à la Grèce (berceau de la civilisation européenne) il l'a jetée hors l'union de la civilisation européenne. Nos collègues européens auraient dû se poser la question: qu'est-ce que l'union spirituelle de l'Europe sans la Grèce? Certains chercheurs plus fins alléguaient la "tradition démocratique", mais il est difficile d'en parler après deux décennies du nazisme et du fascisme au cœur même de l'Europe. Ainsi, on n'a jamais trouvé de définition exacte en ce qui concerne les assises spirituelles de "l'Europe", bien qu'on ait rompu pas mal de lances à ce sujet. Ce thème reste ouvert, sans doute, pour permettre l'existence de plusieurs chaires près les Universités européennes.
Finalement, la recherche de son identité ne doit jamais prendre fin, c'est un processus permanent. Nous comprenons que tous ces efforts intellectuels tendent à sacraliser certaines réalités économiques et politiques. En fait, les assises de l'UE sont beaucoup plus politiques et économiques que chrétiennes. Et voilà que dans quelques jours il y aura une UE élargie, plus exactement, une Europe élargie qui finira à la frontière polono-ukrainienne. Depuis ce moment je vais utiliser le terme Europe au lieu de l'Union Européenne, ce sera plus simple, plus bref et plus honnête. J'ai l'espoir que dans quelques années l'Europe s'étendra jusqu'à la frontière roumano-ukrainienne. Dommage qu'il n'existe pas de frontière albano-ukrainienne. Il est clair que l'Ukraine ne prendra pas part dans ce processus. Elle reste en dehors du "projet européen". Pour l'instant elle ne désire pas non plus de prendre part au projet "eurasien" de la Russie qui vise la création d'un empire modernisé et libéralisé (ou pas trop). L'Ukraine reste "entre les deux", au fond d'une mer, comme le témoigne notre carte. Le projet du statut d'un "nouveau voisin de l'UE/Europe", avancé par les Italiens, a provoqué en Ukraine ou bien des remarques irritées ou bien des éclats de rire homérique - enfin la Pologne et la Hongrie ont retrouvé leur "nouveau voisin"!