- Structures démographiques, migration, minorités
- Comparaisons socio-culturelles
- 1968 et ses conséquences
- Entre amour et droit: conceptions du mariage en France et en Allemagne vers 1800
- Introduction
- L'immigration allemande en Alsace
- La répartition de la population allemande en Alsace
- L'originalité de l'exemple strasbourgeois. L'origine nationalitaire des immigrés allemands: Badois, Wurtembergeois, Prussiens, Saxons, Poméraniens.
- La formation des unions mixtes durant les premières années du Reichsland
- Un démarrage précoce dès 1871
- Les mariages mixtes sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire
- L'originalité des mariages de la période française
- Le nouveau système de mariages
- Les premiers rapprochements entre les deux communautés: 1871-1890
- L'intégration des ouvriers et des artisans
- L'intégration malaisée des marchands et négociants
- Le rejet de la "deutsche Wissenschaft"
- Une ère nouvelle: la dernière période du Reichsland 1890-1914
- Un contexte nouveau
- L'intégration des employés
- Les mariages universitaires
- Sources
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L'ouverture vers les professions libérales
La société strasbourgeoise qui manifeste une grande méfiance vis-à-vis des hauts fonctionnaires et des représentants du pouvoir de Berlin admet pourtant en son sein à partir de 1880-90 un nombre impressionnant de membres des professions libérales: architectes, ingénieurs, avocats et médecins. L'exception est suffisamment remarquable pour qu'elle mérite quelques explications.
Total des membres des professions libérales repérées dans les registres de mariage 1890-1914
Avocats, Avoués | 5 |
Architectes | 17 |
Ingénieurs | 20 |
Médecins | 6 |
Dentistes | 4 |
Pharmaciens | 5 |
Notaires | 2 |
Total | 59 |
Source: Chiffres obtenus par le dépouillement des registres d'état civil de la ville de Strasbourg.
Depuis 1876, Strasbourg apparaît comme un vaste chantier. Après les travaux de destruction des anciens remparts qui avaient montré leur inefficacité lors du siège de l'été 1870 commence la construction des principaux bâtiments publics dont la Gare centrale. Les travaux d'aménagement de la Place impériale, joyau de la Neustadt, débutent en 1882, après l'adoption du plan de Geoffroy Conrath, architecte en chef de la Ville. Il consiste en une vaste réalisation urbanistique comprenant la construction du Palais impérial, de la Bibliothèque régionale et universitaire et du Palais du Landesausschuß, destiné à abriter les travaux de la Délégation régionale, remplacée à partir de 1911 par le Landtag (assemblée régionale élue au suffrage universel), pour se terminer en 1911 par la fermeture de la place côté Nord par les Ministères d' Alsace-Lorraine. L'édification du Palais Universitaire et de l'ensemble des édifices destinés à recevoir les quatre Facultés de la Reichsuniversität inaugurés en 1872 s'étala également sur plus de trente années. Enfin en 1905, autour de l'architecte en chef de la Ville, Fritz Beblo démarra un troisième grand chantier, celui de l'extension de l'Hôpital civil par la construction de nouvelles cliniques. Ce vaste programme de constructions attira à Strasbourg, maintenant bien installée dans sa fonction de capitale, un nombre étonnant d'architectes allemands. Avec de nombreux collaborateurs souvent alsaciens, ils élaborent les formes nouvelles d'architecture et d'urbanisme qui font l'originalité de la Neustadt.
Or parmi les architectes venus s'installer dans la capitale du Reichsland, dix-sept épousèrent des Alsaciennes. Parmi eux, Hermann Eggert, maître d'œuvre du Palais impérial et de plusieurs pavillons faisant partie du complexe universitaire, Georg Saier et Friedrich Wetzke, fils de Waldemar Wetzke qui réalisa deux splendides immeubles Avenue de la Forêt Noire. Mais le plus illustre est Johann Knauth. Originaire de Cologne où il avait collaboré à l'édification de la flèche de la cathédrale, il s'installa à Strasbourg en 1890 à la demande de l'architecte de l'Oeuvre Notre-Dame, lui aussi originaire de Cologne. D'abord architecte-adjoint (Bauführer), il devint en 1905 Architecte en chef de l'Oeuvre Notre-Dame (Dombaumeister). A ce poste, il déploya une intense activité en restaurant la galerie des Apôtres ainsi que la rosace de la façade occidentale. En 1892, il épousa Mathilde Holtzmann, la fille d'un aubergiste strasbourgeois. Mais son séjour à Strasbourg fut surtout marqué par les travaux qu'il entreprit à partir de 1907 pour consolider le pilier qui soutient la tour occidentale qui menaçait de s'effondrer. Il poursuivit le sauvetage après la guerre. Les autorités françaises qui l'avaient, dans un premier temps, autorisé à rester à Strasbourg revinrent sur leur décision et l'expulsèrent vers le Pays de Bade en janvier 1921. Tragique destin pour un homme de l'art, entièrement dévoué à l'embellissement et au sauvetage de l'édifice le plus prestigieux de Strasbourg.
Parmi les professions libérales, deux catégories se signalent encore à nous. Les ingénieurs dont une vingtaine épousèrent des Alsaciennes et, dans une moindre mesure, les médecins, dentistes, pharmaciens. La multiplication des mariages mixtes parmi ces professions qui parviennent à vaincre le préjugé tenace des familles bourgeoises à l'égard des immigrés est une illustration du prestige dont bénéficie au tournant du siècle la culture scientifique allemande, culture plus neutre d'un point de vue idéologique. Le prestige qu'avait acquis ces nouvelles professions et le spectacle quotidien des réalisations impressionnantes que les urbanistes, architectes, ingénieurs et techniciens avaient effectußées pour faire de Strasbourg, hier encore ville provinciale, une capitale moderne recouverte de splendides monuments et dotée des meilleures infrastructures, n'ont pu laisser indifférents les Strasbourgeois.