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De la nature de la mentalité allemande
Au début de la Première Guerre mondiale, les territoires, à l'époque allemands, du Sundgau situés au sud et au sud-ouest de Mulhouse, et en partie aussi la ville de Mulhouse elle-même, sont conquis par les troupes françaises. Après que la situation des armées françaises se soit dégradée sur certains segments du front, en particulier autour de Verdun et en Flandre, des troupes sont retirées de cette région. Les troupes allemandes réussissent alors à reconquérir certaines zones; seules les villes de Thann, Massevaux et Dannemarie resteront françaises jusqu'à la fin de la guerre. (56)
Hansi publie l'album "Le paradis tricolore" avant même la fin de la guerre. On y retrouve les clichés anti-allemands de ses oeuvres précédentes. Dès la préface - le fac-similé d'une rédaction d'élève sur le thème "Quels sont les changements que la guerre a apportés dans notre village [libéré par les troupes françaises]? - réapparaît le personnage du professeur allemand détesté: "Depuis la guerre nous avons des maîtres Français et avant nous avions des maitres boche [!]. Les maîtres Français sont bien plus gentils et plus instruits que les boches qui étaient bêtes et aimai [!] rien que la bier [!]." En conclusion, l'élève écrit: "Nous devons prier le bons [!] Dieu que les Français ils sont victorieux pisque [!] si les boches il revenait [!] nous serions très malheureus [!]. Les boches son [!] pas des personnes comme nous. Ils sont des cochons." (57)
Ces régions libérées par les soldats français - Hansi dit: "nos troupes" - ont aussi souffert de la guerre, mais "ces ruines, on les conservera, comme on laissera subsister dans toute sa laideur arrogante le château du Haut-Koenigsbourg. Les églises en ruine autant que le faux château du moyen-âge témoigneront éternellement de la barbarie de nos voisins d'outre-Rhin. Plus tard, on y conduira les petits Français d'Alsace; ceux qui n'auront pas connu l'affreux Boche verront là ce que vaut le peuple qui pendant 47 ans nous a opprimés et brutalisés." (58) Oh, combien meilleurs sont les soldats français qui logent dans les villages libérés! "Ils sont de la famille, ils aident aux travaux des champs, ils conduisent la charrue, ils rentrent le blé, et le soir on les voit au milieu d'un cercle d'enfants raconter de terribles histoires de guerre. Car le Poilu de France et les enfants d'Alsace sont de grands amis. A l'école les enfants d'Alsace apprennent le français classique et ils l'apprennent fort bien. Mais les mots qu'il faut savoir pour décrire les hauts faits des chasseurs alpins et exprimer la haine du Boche, ce sont les Poilus qui les enseignent." (59)
Henri Zislin, un contemporain, collègue et ami de Hansi, a décrit l'"Homo Pangermanus" de la manière suivante:
Pantalon vert, veston vert,
Chapeau vert sur la tête.
Et là, au milieu, derrière,
Quelque chose de poilu,
Atteignant la dimension gigantesque
D'une brosse de toilettes,
Ornant magnifiquement ce couvre-chef,
Pour le plus grand bonheur de la vierge vertueuse,
La noble parure de la tête allemande!
Avec cela un petit col en papier,
Et pour compléter cette tenue,
Un plastron de chemise, luisant comme de la toile cirée,
Il fait son apparition, grand, fort et gros,
Le côté gauche de la poitrine tout décoré d'insignes en fer-blanc... (60)(cf. également Fig. 17 ci contre: "Die gnädige Frau" de Hansi, tiré de l'ouvrage: Le paradis tricolore, 1918)
Hansi énonce sur la nature de la mentalité allemande: "Certes, il y a leur orgueil qui veut qu'ils se considèrent comme un peuple supérieur à tous les autres peuples, leur incapacité absolue de comprendre l'âme et la mentalité des autres nations, leur besoin de comparer tout ce qu'ils voient ailleurs à ce qu'ils ont chez eux et de proclamer que tout est inférieur. Il y a leur absence totale de sens critique et une certaine naïveté parfois désarmante. Il y a tout cela, mais il y a aussi autre chose, et c'est ceci: quand un Allemand, le peuple allemand a compris, quand il s'est assimilé, quand il a adopté une théorie, une doctrine, une idéologie quelconque, il la suivra , il la développera jusqu'à ses ultimes conséquences, jusqu'à l'absurde, même si cet absurde est cruel, atroce, même si cet absurde le mène à la folie furieuse, pathologique." (61)
La réédition du "Professeur Knatschké" datant de 1995 contient aussi tous ces compléments que Hansi a rajoutés à sa satire en 1947, sous l'impact immédiat de la Seconde Guerre mondiale. On peut y lire: "Une fois de plus la mégalomanie pangermanique a valu à l'Allemagne une leçon terrible et dure et sans doute nécessaire. Ses belles cités, ses usines immenses ne sont plus que ruines et décombres, où règnent cette disette et cette misère dont ils voulaient accabler les autres nations, car cette fois la guerre a passé chez eux. La leçon sera-t-elle entendue? Nous l'espérons, sans grande certitude. Alors, c'est à nous d'être toujours sur nos gardes, de veiller à ce que dans quelque cave de Berlin ou de Leipzig, des fanatiques intoxiqués par l'éducation hitlérienne, réunis autour d'une bouteille de limonade à la saccharine, n'inventent une nouvelle mystique, une nouvelle idéologie qui, développée logiquement, réveillerait chez ce peuple de pillards son instinct ancestral de rapine et son rêve de domination."
Ce texte est accompagné du dessin reproduit ici. (62) (Fig. 18) Hansi est convaincu qu'on ne pourra jamais faire confiance à ces pillards allemands (63), tandis que les directeurs de publication de la réédition se sont sentis appelés, 50 ans après la guerre, à apporter une note conciliante à cette déviance quasi génétique et immuable attribuée par Hansi aux Allemands: "On aura bien compris que les passages à caractère outrancier et trop généraliste, qui pourraient choquer aujourd'hui nos amis allemands, sont à replacer dans le contexte de l'immédiate après-guerre et de l'agression qui fut perpétrée par la Gestapo à l'encontre de Hansi, alors âgé de 68 ans." (64) Le Musée Hansi a cru bon également, pour ne pas froisser éventuellement la sensibilité nationale de visiteurs allemands, d'apporter une petite correction à une boîte ornée d'un dessin de Hansi, contenant un gâteau typiquement alsacien que les visiteurs peuvent acheter sur place: cette illustration ornant la boîte à gâteaux provient de l'album de Hansi "Mon village"; elle représente des enfants alsaciens qui portent des gâteaux à cuire sur des plaques à pâtisserie. Tandis que l'illustration originale montre un enfant allemand un peu chétif qui regarde faire avec envie les enfants alsaciens, ce détail a été éliminé sur l'image ornant la boîte à gâteaux - une prévenance qui me semble aujourd'hui exagérée et qui s'inscrit manifestement dans le contexte de la political correctness pratiquée envers les visiteurs allemands de musées.
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Notes
(56) Cf. les indications détaillées chez Hermann Stegemann: Geschichte des Krieges, Vol. 1, Stuttgart/Berlin 1917, p. 113 et suivantes, 123 et suivantes, 133; Vogler, in: L'Alsace - une histoire (cf. note 20), p. 166 et suivante.
(57) Le paradis tricolore (cf. note 3), non paginé.
(60) Henri Zislin: Dur's Elsaß N° 252 du 2. 5. 1914.
(61) Professeur Knatschké (cf. note 7), p. 12 (appendice de l'édition de 1995 intitulé "Fallait-il rééditer le Professeur Knatschké?").
(62) Ibid., p. 157; voir dans cet ouvrage aussi la citation suivante. En cette même année 1947, il avait exprimé toute sa méfiance vis-à-vis de la société allemande d'après-guerre, émettant des doutes et se demandant "si la mentalité des vaincus de 1947 est bien différente de celle des Allemands après la défaite précédente" (ibid., p. 121).
(63) On attribue aux Allemands de nombreux traits de caractère négatifs, mais on leur reproche rarement d'être des pillards. Chez Hansi, mais aussi chez un certain nombre d'hommes de lettres de son époque, on attribue aux pillards allemands une étrange prédilection pour les pendules françaises, et ce depuis toujours, mais particulièrement pendant la guerre de 1870/71; voir Babillotte (cf. note 12), p. 32.
(64) Professeur Knatschké (cf. note 7), p. 157 note 1; l'éditeur de l'ouvrage "Le grand livre de l'oncle Hansi" (cf. note 1), Georges Herscher, éprouve les mêmes hésitations, quand il se demande dans la préface: "Devions-nous au contraire insister sur le caricaturiste féroce que Hansi a également osé être?".