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'Les orientations changent avec la Cinquième République'
 
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Les orientations changent avec la Cinquième République

Les Allemands de l'Est portaient un jugement mitigé sur la politique du président de la République. De Gaulle rassure le gouvernement est-allemand. On se souvient de ses prises de positions contre la CED, de son nationalisme et de sa volonté d’indépendance. Mais très vite, lors de ses entretiens en 1960 avec Khrouchtchev, le gouvernement est-allemand se rend compte que les convergences ne portent que sur deux points: le respect des frontières fixées à l’Est et notamment de la ligne Oder-Neisse et l’interdiction de tout armement atomique pour l’Allemagne. Le Général rejette de façon catégorique la reconnaissance de la RDA, s’oppose à la remise à celle-ci du contrôle des communications entre Berlin-Ouest et le reste de l’Allemagne et à la transformation de Berlin en ville libre. La réunification dans le cadre d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural lui paraît bien lointaine.

En 1945, l'Allemagne est ramenée dans ses frontières de 1937. La nouvelle frontière germano-polonaise est fixée à la ligne Oder-Neisse, pour permettre à la Pologne de compenser ainsi la perte des territoires "récupérés" à l'Est par l'URSS en 1945.

 


Source Internet [1]

La situation évolue, à partir de 1964. La France prend ses distances par rapport aux États-Unis et de Gaulle est déçu également par l’échec partiel du Traité de l’Élysée. Il renoue avec Moscou. En février 1964, un groupe de parlementaires français, issus de la majorité UNR, se rend à Berlin-Est à un moment particulièrement malheureux, puisque ce voyage se déroule à la veille de la visite à Paris du chancelier ouest-allemand Ludwig Erhard. Die Welt s’en indigne, son correspondant à Paris, Barth a du mal à croire la version officielle des gaullistes, selon eux, le voyage se serait déroulé à l’insu du général! (23) En fait, ce séjour coïncide aussi avec la reconnaissance de la République populaire de Chine. De Gaulle envisage-t-il de faire de même avec la RDA? Pankow s’en réjouit: pour les parlementaires français, la RDA existerait donc. 

Walter Ulbricht [2]  omet désormais de citer la France quand il attaque l’Occident. Le voyage de Maurice Couve de Murville [3]  à Moscou est hautement approuvé et l’homme de la rue, selon Neues Deutschland, constate que le général de Gaulle fait à chaque fois ce que l’on attend de lui. Son voyage en URSS, en juin 1966, fait croire à un tournant. Les craintes sont vives en RFA. La France ne vient-elle pas de quitter l’OTAN? Mais chacun campe sur ses positions. Brejnev réclame toujours la reconnaissance de la RDA, préalable à toute modification du statu quo, alors que de Gaulle reste fidèle à ses positions. S’il plaide pour la réunification, il ne reconnaîtra pas officiellement la RDA. Et Ulbricht peut à nouveau dénoncer le caractère équivoque de la politique gaulliste.

D’ailleurs, au micro d’Europe 1, le 19 janvier 1967, Maurice Couve de Murville renouvelle ce refus de reconnaître la RDA. La France ayant noué des relations avec la République fédérale, "il n’aurait pas été normal d’établir en même temps des rapports avec l’autre Allemagne avec le gouvernement qu’on appelle gouvernement de la République démocratique allemande" (24). La France reste donc avant tout fidèle à ses alliances avec la RFA et à la doctrine Hallstein [4] .

Walter Ulbricht (à droite), aux côtés de Nikita Khrouchtchev lors de la visite de celui-ci à Berlin en 1960, est l’un des architectes de la RDA. Il voulait en faire un modèle du socialisme et se flattait d’avoir permis son essor économique. Il n’a pas hésité à réprimer durement l’émeute ouvrière de juin 1953. Le 12 août 1961, Ulbricht ordonne la construction du mur de Berlin qui coupe toute circulation entre Berlin-Ouest et Berlin-Est.

Source Internet : www.sciences-sociales.ens.fr/hss2002/societe-pouvoir/acteurs/dir-RDA.html

Pourtant nombreux sont ceux qui souhaitent avoir des contacts plus étroits avec l’autre Allemagne. Les milieux d’affaires, comme sous la Quatrième République, restent intéressés par ce marché. Après l’échec du Plan de sept ans lancé en 1958 et de la collectivisation outrancière de l’agriculture, Ulbricht envisage de nouer des liens commerciaux plus solides avec les pays occidentaux. Mais les échanges entre l’Occident et la RDA n’ont encore rien d’excessif surtout si on les compare au "commerce interzone" (25).

La France reste le pays de l’Ouest le plus représenté à la Foire de Leipzig avec 351 exposants en 1959. Les Allemands de l’Est achètent essentiellement des biens d’équipement, des machines outils, des articles de l’industrie électrique et chimique ainsi que des produits agraires. En 1964, le groupe Schneider s’adjuge la plus grosse commande d’équipement passée par la RDA à l’Ouest (26). L’année suivante, la Régie Renault et la CIFAL enlèvent de grosses commandes d’équipement. La RDA a besoin d’installations complètes. Elle vend à la France des machines-outils, des machines polygraphiques, des machines de bureau, des articles de mécanique de précision et d’optique (VEB Zeiss Jena), des produits textiles et des produits de l’industrie chimique. Malgré l’absence d’accord, la RDA est, dans les années 60, le second client socialiste de la France après l’URSS et son 6ème fournisseur. Mais par suite de la non-reconnaissance, les relations économiques restent limitées, inférieures aux besoins et aux possibilités des deux pays. Un arrangement est pourtant signé en 1965 entre le représentant de la chambre du Commerce extérieur d’Allemagne de l’Est et le chef des Services commerciaux français en Allemagne. Ces négociations favoriseront "la désatellisation" de ce pays et lui permettront, comme le souligne en 1965 le général de Gaulle, d’avoir une certaine indépendance économique. 

A plusieurs reprises, les autorités est-allemandes sollicitent une extension de ce commerce, au prix d’un accord commercial de plus longue durée et de l’installation d’une représentation commerciale française en RDA. Les industriels français abondent dans le même sens. Ils obtiendront gain de cause en deux étapes: en 1968, la représentation de la chambre du Commerce extérieur de la RDA installée en France depuis 1955 prend le nom de délégation de l’Office des relations extérieures de la RDA. En juin 1970 est créé à Berlin un bureau de l’industrie française. Les pressions des milieux d’affaires français dans les années soixante ont donc été efficaces: ils ont réussi à obtenir, trois ans avant la reconnaissance officielle, l’installation à Berlin-Est d’un organisme semi-officiel (le bureau nommé ci-dessus), la même année est signé un accord commercial de cinq ans.

Bonn prend souvent ombrage des réussites françaises et craint de voir sa chasse gardée trop largement braconnée. Mais la RFA n’a pas de raison de s’inquiéter: malgré de très nets progrès, les échanges entre la France et la RDA ne représentent que 10% à peine du commerce total entre les deux Allemagnes et la RDA est considéré par les Européens dès 1972 comme le véritable passager clandestin du Marché commun (27).

La construction du Mur de Berlin en 1961. A la suite de cet événement, "les autorités françaises, respectant la décision de l’OTAN, refusent d’accorder des visas aux Allemands de l’Est désireux d’assister à des colloques ou à des réunions internationales."

Source Internet [5]

En revanche, les échanges culturels ont tendance à stagner pendant les années 60. Créée en 1958, l’association des Échanges franco-allemands (EFA) a pour but de favoriser la coopération avec les deux États allemands et de permettre la reconnaissance de la RDA. Elle a son équivalent en RDA, à partir de 1962, Die Freundschaftsgesellschaft DDR-Frankreich. Le professeur Georges Castellan, l’un de ses fondateurs, souhaitait élever les relations avec la RDA au même niveau que les relations entre la France et la RFA. L’association est très active. Elle facilite les voyages d’enseignants, de syndicalistes et de sportifs. Elle encourage les jumelages de villes. Pour faire connaître l’autre Allemagne, les EFA organisent des conférences-débats et des expositions sur divers aspects de la vie en RDA. Gilbert Badia signale que 195 expositions ont eu lieu entre 1964 et 1974 (28). La Commission culturelle des EFA propose des conférences en Sorbonne sur Brecht, sur le théâtre de Büchner, l’expressionnisme allemand et l’Ecole de Paris.
 
 Mais elle peut difficilement inviter des citoyens de RDA. Depuis l’érection du Mur [6] , les autorités françaises, respectant les décisions de l’OTAN, refusent d’accorder des visas aux Allemands de l’Est désireux d’assister à des colloques ou à des réunions internationales. Cette mesure est surtout appliquée à l’encontre d’artistes ou de sportifs (29). Elle sera assouplie en avril 1964 pour les personnes voyageant à titre privé. L’Ostpolitik va, là aussi, permettre aux Français de mieux connaître la RDA. La presse française multiplie les articles sur la RDA, ce qui ce n’était pas nouveau, jamais depuis sa création l’intérêt de la presse à l’égard de cet État ne s’était démenti.

En 1969, le nouveau chancelier allemand social-démocrate, Willy Brandt met fin à la politique très rigide menée par son prédécesseur, Konrad Adenauer envers la RDA. Avec son "Ostpolitik", Brandt inaugure la détente avec les pays de l'Est. Le 13 mars 1970 (photo) il rencontre à Erfurt le président du Conseil des Ministres est-allemand, Willy Stoph, événement historique dans les relations entre les deux Allemagnes.

Source Internet [7]

C’est cette même attirance que l’on retrouve chez certains hommes politiques à la fin des années 60. Raymond Schmittlein approuve les ouvertures de Bonn à l’Est, il estime que la France ne doit pas continuer "à ignorer délibérément une nation européenne de cette importance", qu’elle ne peut retrancher "de sa conception de la réalité allemande Weimar, Potsdam, Leipzig, Dresde et Rostock et laisser dépérir ou se détériorer ses relations culturelles et économiques avec l’État qui a eu le courage de supprimer la Prusse. Il est grand temps qu’à défaut d’une reconnaissance de jure, nous normalisions nos rapports avec la RDA et qu’avec une délégation politique nous envoyions à Berlin ou à Potsdam une mission culturelle et une mission économique" (30). 

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Notes

(23) Die Welt, cité par Le Monde, 15 février 1964.
 
(24) Le Monde, 20 janvier 1967.
 
(25) Jacques Moreau, L’Economie, 12 mars 1965.
 
(26) Il s’agit de fourniture d’installations destinées à une usine de production d’engrais azotés.
 
(27) Le Monde, 24 janvier 1973. Au terme d’un protocole annexe au traité de Rome, il avait été admis – au nom de l’unité de l’Allemagne – que les produits est-allemands entreraient en RFA en franchise de droits et, par ce canal, dans le reste de la Communauté européenne. 
 
(28) Gilbert Badia, "Les échanges culturels entre la France et la République démocratique allemande", Allemagne d’Aujourd’hui, octobre-décembre 1988.
 
(29) Le Travel Board allié de Berlin-Ouest règle les relations entre les puissances occidentales et les citoyens de la RDA. Sa réglementation est fonction de celle qui régit le passage du Mur. Le refus de la RDA de laisser les Berlinois de l’Ouest et de l’Est circuler normalement d’un secteur à l’autre entraîne des mesures de représailles. Les pays membres de l’OTAN refusent des visas aux citoyens de RDA, ce qui les empêche de voyager à l’étranger! 
 
(30) Le Télégramme de Paris, 1er novembre 1969.